Loges de Maîtres Installés

Installation secrète

Très tôt, au début du XVIIIe siècle, l’installation du Maître de la loge a fait l’objet d’une attention particulière en raison de l’importance de son rôle. S’il n’est pas certain que dès 1723 (1) il lui était transmis, lors de son installation, des secrets ou un grade spécifique, il ne fait pas de doute que vers 1760 (2), la pratique d’une installation comportant des enseignements propres à la chaire de Maître était devenue très courante en Angleterre. Au début du XIXe siècle, après l’Union de 1813, les détails de cette cérémonie furent fixés : il s’agit de ce que l’on nomme en français, « l’installation secrète » du Vénérable Maître (on dit parfois « installation ésotérique » ; on tente à chaque fois de traduire une expression anglaise difficilement transposable : « Inner Working » – littéralement : « travail interne »).

Précisions d'histoire

L’installation secrète du Maître de Loge est une tradition maçonnique d’origine britannique et exclusivement britannique. Parfaitement intégrée dans les usages maçonniques de la Grande-Bretagne, elle se pratique constamment lors de la prise de fonction de tous les Vénérables dans ce pays depuis au moins la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

Au XVIIIe siècle, elle a été en revanche inconnue en France. Cela ne signifie pas que le Vénérable Maître d’une loge n’ait pas possédé des grades réservés à cette fonction. C’est ainsi qu’à Paris, vers 1740, on connaît un grade « d’Ecossais des 3JJJ », dont le contenu ésotérique est du reste étrangement proche de celui de l’Installation secrète anglaise, et ce grade fut présenté pendant un temps comme un grade de Maître de loge. De même, vers 1760, on a vu apparaître un grade dénommé « Vénérable Maître de toutes les loges », intégré plus tard dans le REAA (20ème grade). Le fait qu’on ait imaginé des « grades » réservés aux VV.MM., et non une cérémonie spécifique d’Installation, est peut-être lié au fait qu’en France, à cette époque, il était courant, notamment à Paris jusqu’à la fondation du GODF en 1771, que le VM soit titulaire à vie, étant détenteur de sa patente à titre personnel. Un grade – que par définition on ne reçoit qu’une fois – était alors plus indiqué qu’une cérémonie itérative.

Lorsque des loges bleues du REAA furent établies à Paris en 1804, les Frères de ce Rite, qui venaient d’Amérique, apportèrent avec eux et pratiquèrent pendant un certain temps l’Installation secrète sous la forme du grade de Past Master (3). Puis cet usage, initialement étranger à la tradition maçonnique française, disparut de nouveau.

Il fallut attendre le début du XXe siècle et la création de loges anglophones lors de la fondation de la Grande Loge indépendante et régulière pour la France et Colonies françaises (GLNIR) – ancêtre de l’actuelle GLNF –, pour que des loges pratiquent cette cérémonie sur le sol français. Toutefois, le rituel ne fut traduit en français que vers 1925 et d’abord réservé aux loges de Rite Anglais (« Emulation »). Puis, pour des raisons de diplomatie interne à la GLNIR, cette pratique fut ensuite étendue aux loges des autres Rites (notamment le RER). Pendant toute cette période, l’Installation secrète demeura étrangère aux autres Obédiences françaises – hormis le cas unique de l’Anglo-saxon Lodge de la GLDF, créée en 1910 par des Anglais en résidence à Paris, avant la création de la GLNIR.

Lorsque la GLNF-Opéra, scission de la GLNF, fut formée en 1958, elle conserva l’Installation secrète. Il en fut de même lorsque la LNF fut créée par trois loges issues de la GLNF-Opéra en 1968. Auteur de la première contribution française sur ce sujet (4), René Guilly avait par ailleurs constitué dès 1961 une « Association fraternelle des Maîtres Installés », devenue à partir de 1970 la Loge Fédérale des Maîtres Installés (mise en sommeil en 1995), pour communiquer cette cérémonie à des VVMM issus d’autres Obédiences. Dans le courant des années 1980, l’Installation secrète devint plus ou moins répandue mais généralement de façon « clandestine » et non reconnue par la plupart des obédiences, en dehors de celles qui ont été mentionnées précédemment. Cette situation a perduré depuis lors (5).

Tenant compte du fait que cette tradition maçonnique n’est propre qu’à la maçonnerie anglo-saxonne, la LNF a adopté, depuis le début des années 2000, les dispositions suivantes : dans les loges du RAE, l’Installation secrète est pratiquée le soir même de l’Installation annuelle du Collège des Officiers, comme cela se fait en Angleterre. Dans les loges du RER et du RFT, le rituel d’Installation du Collège des Officiers, inspiré des textes français du XVIIIe siècle, ne comporte pas d’Installation secrète du VM. Toutefois ce dernier est quand même installé, quelques temps plus tard, au sein d’une des loges de Maîtres installés de la LNF. Ainsi, quel que soit leur Rite, tous les VV.MM. ont finalement reçu les mêmes enseignements traditionnels liés à la chaire de Vénérable.

Lors de cette cérémonie, après avoir ouvert la loge aux trois grades, on prie tous les Frères de sortir, à l’exception des Maîtres installés. Ces derniers ouvrent alors un Conseil de Maîtres installés et procèdent à l’Installation secrète du VM. Lorsque tout est terminé, les Frères sont réintroduits en loge, découvrent le VM occupant désormais la chaire de Maître où il vient d’être placé et le reconnaissent en cette qualité.

Il faut encore mentionner que, dans la tradition anglo-saxonne, l’accession à certains grades complémentaires, et notamment à l’Arc Royal, n’est possible que lorsqu’on a reçu cette Installation. Certains Frères pouvant légitimement prétendre à l’Arc Royal mais n’ayant jamais été VM peuvent alors être « virtuellement » installés par le biais du grade de Past Master qui leur est conféré avant leur exaltation à l’Arc Royal.

Généralement méconnue, l’Installation secrète a parfois été mal jugée en France par des responsables maçonniques le plus souvent très mal informés. Sa diffusion incontrôlée, en dehors des Obédiences et des organismes maçonniques qui la reconnaissent officiellement, a pu, il est vrai, la faire apparaître parfois comme un discutable enjeu de pouvoir dans certaines loges. Loin de cette conception déviante, parfaitement étrangère à la tradition maçonnique, la LNF et la LNMF considèrent l’Installation secrète comme une importante et vénérable tradition, une parmi les plus anciennes de la franc-maçonnerie spéculative organisée. Tout en soulignant l’importance de la fonction de VM à laquelle elle confère une solennité exceptionnelle, elle recèle aussi des particularités rituelles qui éclairement heureusement la signification du grade de Maître. Pour toutes ces raisons, sa transmission régulière doit être maintenue et encouragée.

Loges de Maîtres installés

Ces loges réunissent les Maîtres qui ont reçu l’Installation secrète, c’est-à-dire les enseignements traditionnels réservés à ceux qui ont occupé la Chaire de Vénérable Maître d’une loge (6).

Au sein de la LNF et de la LNMF, la finalité de ces loges est double : dans quelques cas, elles permettent de transmettre l’Installation secrète à des Frères et Sœurs appartenant à une loge dont le Rite ignore la pratique de cette cérémonie le soir même de la tenue annuelle d’installation du Collège des Officiers (RER et RFT). Mais avant toute chose, ce sont des loges d’étude d’un genre spécial : elles ne s’attachent qu’aux traditions relatives à l’Installation, aux sources et à l’histoire du grade de Maître et à leurs rapports avec le contenu traditionnel de l’Installation secrète, ce que l’on ne peut précisément pas aborder dans une loge d’étude et de recherche des trois premiers grades.

Ces loges ne perçoivent pas de cotisation, ne sont pas représentées en Loge nationale et ne se réunissent qu’une ou deux fois par an.

Notes :

  1. Cf. « Manière de constituer une nouvelle loge selon sa Grâce le Duc de Wharton », dans les Constitutions de 1723.
  2. Le schéma d’installation du Vénérable Maître le plus anciennement connu est celui de la divulgation Les Trois Coups distincts (Three Distinct Knocks), 1760.
  3. Cf. Tuileur de Vuillaume, 1830, « Past-Master, ou Maître Passé, donnant la faculté de présider les loges », pp. 71-74.
  4. « Notes sur l’installation ésotérique du Vénérable Maître », Le Symbolisme, 1961.
  5. Sauf omission, l’Installation secrète n’est régulièrement pratiquée, en dehors des Obédiences évoquées plus haut, qu’au sein de l’OITAR, de la GLISRU et de la GLFMM. Des discussions ont eu lieu vers 1995 pour l’introduire officiellement à la GLDF et au GODF, mais elles n’ont pas abouti. Il faut enfin préciser que le GODF a établi en son sein depuis 2002, un Suprême Grand Chapitre de l’Ancienne Maçonnerie d’York qui pratique le grade de Past Master sous le nom de « Maîtres ès Arts et ès Sciences », mais uniquement pour les Frères qui s’impliquant dans cette filière de « hauts grades ».
  6. Sur la question de l’Installation secrète en général, voir plus loin, pp. 155 – 157.